Ma participation aux impromptus
Le thème était "J'aimerais devenir" et enjoignait à la légèreté, à l'espoir...Je ne sais pourquoi, il m'a fait penser à un vieux livre qui traînait chez mes parents et qui m'avait terriblement impressionnée : les danses macabres, une suite de poèmes et de gravures terribles. C'est donc ma participation au impromptus, un court message du type : carpe diem car nous savons tous de quoi demain est fait mais aussi qu'on peut changer les choses, dans une certaine mesure.
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« J’aimerais devenir »...la petite fille aux yeux confiants eut une hésitation avant de répondre... « J’aimerais tant devenir... » mais avant que les mots ne sortent l’image devint floue et je sortis du sommeil. J’avais dans la lourde chaleur comme un goût amer, la langue pâteuse des soirs prolongés et la nuque endolorie, je m’étais encore endormie sur le canapé. Qu’est donc devenu mon avenir de petite fille sage ? Je me levai les cheveux en bataille, le visage chiffonné, les mains tombantes, comme si elles avaient cessé d’espérer. Je me regarde dans le miroir étroit, sale, il est temps de recommencer une journée semblable à toutes les autres. J’enfile rapidement un pantalon tombant, mon ventre y rentre à peine, faut vraiment qu’j’arrête de m’empiffrer comme ça et de fumer comme un pompier. Tant bien que mal je camoufle tout cela avec une chemise large, sans forme. Après un p’tit dèj rapide, sans saveur, je n’arrive plus à me préparer quoique ce soit, je claque la porte plutôt que je ne la ferme. En plus il pleut, je vais encore arriver trempée au boulot, je déteste les parapluies depuis que celui qui m’avait étreint un jour humide m’a quitté brutalement, me laissant comme une loque dans un appart vide.
Mon bus aux multiples yeux éteints me dépose devant la porte du supermarché où je bosse. Je suis employée des heures durant à ranger des boîtes de légumes et à les classer, quelle besogne intelligente pour quelqu’un qui possède une thèse totalement inutile sur « Les liens étroits entre les textes d’Ouyang Xiu et la modernité ». Je n’y suis pour rien, moi, si mon directeur de mémoire de littérature comparée raffolait des écrivains chinois du 11ème siècle. Et puis au bout, pas de poste, des emplois précaires auprès d’étudiants et enfin la sortie par la petite porte. Mais il y avait au moins l’amour, l’avenir à deux, à trois, à dix, joyeux et riant avec des enfants gambadant dans la coquette maison dont j’ai rêvé...toute seule finalement. Ce n’est pas bon de faire ses songes dans son coin, on ne sait plus quoi en faire en se réveillant un beau jour, seule à froisser les draps.
A midi, je prends ma pause, un café fumant dans les mains, un sandwich dans l’autre. Ma vie se résume à ces deux tranches de pain au milieu desquelles se perdent jambon et feuilles de salade : pressées, perdues et inutiles. Je jette le papier gras et la tasse en plastique en repensant au jeu de dînette grandeur nature que nous faisions semblant de partager avec ma grand-mère.
Brutalement je me fais bousculer par un homme pressé...un homme étrange, il n’est pas très grand, sec, nerveux et sans cesse aux aguets. Il tire de son veston une montre qu’il consulte en laissant tomber un papier froissé. Il disparaît dans la foule aussi vite qu’il était apparu.
Je me baisse et lis : « Et toi...que rêves-tu de devenir ? ».
Je relève la tête rapidement, il me semble revoir au milieu de la foule qui s’est intensifiée, ce visage anguleux me faire un clin d’œil et une main surgissant de nulle part qui m’enjoint à le rejoindre.
Je prononce ces mots comme sortis d’une enfance qui n’avait jamais disparu, qui juste avait été effacée par la souffrance :
« Je voudrais...devenir... »
Devenir
Venir
La main squelettique m’a entraînée dans la ronde folle des possibles impossibles, des « demain » emplis d’hier, des enfin qui n’ont jamais de fin... et j’ai entrevu un instant le vrai sens de ma vie, « avant, avant qu’il ne soit trop tard », grimaça l’homme aux yeux froids. Il me lâcha brusquement, je me retrouvai étourdie dans le hall plein à craquer. J’ai lentement enlevé mon badge, ma blouse qui sont tombés sans un bruit sur le sol, piétinés par les clients empressés et aveugles. Le temps me semblait égrener des notes sombres comme un sablier muet. J’ai acheté un sac à dos, quelques provisions, j’ai vidé mon compte, appelé ma logeuse, enfilé des chaussures de marche et je suis partie vers d’autre horizons...avant...avant qu’il ne soit trop tard.
Il est vrai que j'ai aussi été inspirée par la nouvelle d'Anna Gavalda, Ceux qui savent comprendront.
Un jeune homme, ancien photographe d'art, est aujourd'hui vendeur à la fnac, vivant une histoire d'amour bancale, bref sa vie est loin d'être ce dont il rêvait... Je vous laisse découvrir la suite.