Ma participation aux impromptus
Le thème de la semaine dans le petit café littéraire des impromptus consiste à sortir les épices du placard. J'ai été inspirée par deux textes :
- Je me suis souvenue de Dune, de Frank Herbert. L'épice permet à Paul Atréïdes de voir les chemins de l'avenir.
- Le feu d'Henri Barbusse, lecture de lycée qui m'a furieusement marquée.
L'idée du lieu où les plus démunis retrouvent un droit d'humanité m'est venue d'un reportage radio sur une association. Le président expliquait le fontionnement de son entreprise solidaire. Ils ont développé une fabrique de maison bio. Chaque nouvel employé était aidé pour réaliser sa propre maison avec un double avantage : trouver un logement pour lui et sa famille et créer une technicité pour l'entreprise dans un travail motivant. J'ai trouvé dans la morosité et l'individualisme ambiant, qu'un tel discours était soulageant !
Je vous livre mon texte :
Vous reprendrez bien une petite bouffée d’épices ?
Dimanche 6 avril
Je viens de finir Dune de Frank Herbert. J’ai reposé le livre sur le canapé et je reste dans une rêverie inquiétante. Comme si au-delà des mots, un message venait de m’être adressé. C’est la première fois qu’un livre, au-delà du bonheur de se retrouver un temps hors des problèmes quotidiens, me tend une main secourable. Il faut dire que notre situation est critique alors il est possible que je fantasme...
Lundi 7 avril (matin)
J’ai fait un drôle de rêve, Paul Atréïdes me prenait par la main et me faisait découvrir le désert.
- Vois-tu, disait-il, ta vie est comme mon sable, brûlant, traître, dangereux. Mais si tu sais dompter les vers géants, tu trouveras ton épice, celle qui fera de toi la plus puissante terrienne car elle te donnera la prescience, tu verras l’avenir comme des milliers de chemins, ce sera à toi d’épouser le meilleur des choix.
Il s’estompait tandis que sonnait mon réveil, je tentais de lui demander :
- Mais où le trouver cet épice ???? J’habite à la montagne !!!!
Vite, vite je note ces phrases avant de les oublier. Il est 6 heures, il faut que j’aille lever les mômes.
Lundi 7 avril (soir)
Je suis complètement anéantie. Mauvaise journée. Ce matin j’ai appris que j’allais changer d’équipe, moi qui m’entendais trop bien avec eux ! En rentrant ce soir, j’ai jeté un coup d’œil inquiet à la boîte aux lettres, je n’ai pas eu le courage de l’ouvrir. Ma fille s’est jetée dans mes bras en pleurs à peine la porte ouverte. Pour payer une partie du loyer mon mari a dû vendre notre violon, celui qui me venait de mon grand-père. En plus, un huissier est passé après notre maigre repas. Il a noté nos faibles possessions sur son carnet noir, même le lit à barreaux du petit, j’en ai vomi après son départ.
Mardi 8 avril
Pas de rêves cette nuit, j’espérais pourtant la suite de notre conversation. Avant de partir pour le boulot j’ai soupoudré ma tartine avec du cumin. Procédons par méthode, épice après épice, je finirai peut être par trouver la bonne.
Retour éreintée, pas mieux, pas pire, j’ai essayé le gingembre dans mon thé, rien à l’horizon, je vais me coucher.
Mercredi 9 avril
J’ai décidé de me rendre chez ma mère, elle dispose d’un rayon entier d’épices, des plus communes aux plus rares. Bon, il faut vraiment que je sois désespérée pour y aller, c’est toujours pénible.
Jeudi 10 avril
Je n’ai rien écrit depuis hier, il faut toujours du temps pour que je me remette des remarques acerbes de ma mère. Ce n’était vraiment pas le moment mais elle a le chic d’appuyer là où ça fait mal. Ce soir j’ai serré fort, fort mes enfants. L’assistante sociale que j’ai vue entre midi et deux m’a menacée de me les enlever si je ne trouve pas un moyen de redresser la barre. Je ne peux plus payer la cantine, ils ont un sandwich à midi qu’ils prennent dans la classe.
L’anis étoilé pris dans de l’eau n’a pas agi.
Vendredi 11 avril
Je fatigue. J’vais me pieuter.
Samedi 12 avril
Ce que j’écris va me paraître incroyable, j’essaie cependant de retranscrire ce rêve au plus près. Ce n’est pas Paul que j’ai vu mais mon grand-père. Il m’a pris par la main et nous nous sommes promenés. Le sol détrempé était défoncé, on entendait au loin le bruit des balles. Il s’arrêta soudain devant une tranchée, c’était lui, plus jeune, plus beau, une plaie dégoulinante à la tête, il était adossé contre le rebord, exsangue, tenant entre ses bras son ami.
- Vois-tu ta vie est comme cette boue, sale, puante, mortelle, à rendre fou.
Il me regarda soudain de son œil triste.
- Ma petiote, je ne veux pas qu’ils te rendent dingue, comme moi.
Il serra ma main plus fort et je sentis dans ma paume comme un petit fruit dur.
- Crois en nous, fantasmagories tirées de ton souvenir et de tes romans. Crois en nous.
J’ai embrassé sa main, que je n’avais jamais touchée. J’ai senti sur mes lèvres les doigts rugueux de l’ancien marin.
Quand je me suis réveillée, je tenais une boule de noix de muscade.
Dimanche 12 avril
Il est temps de rendre mon texte, ma nouvelle équipe attend mon article pour demain. Je ne sais pas à quoi ils ressemblent. Il paraît que cette semaine on nous retire nos meubles...les huissiers ne connaissent pas les dimanches pour donner leurs mauvaises nouvelles. Nous avons cependant tenu à nous promener ensemble, tous les quatre, comme avant. Avant la dévalorisation de l’euro, avant qu’il fasse la peau aux fonctionnaires, avant qu’ils décident de corrompre l’ensemble des systèmes financiers...avant quand il y avait de l’espoir pour ceux qui n’ont qu’un salaire. Notre grande a retrouvé un peu de son insouciance en regardant les fleurs à peine écloses, le pli qui barrait son front depuis quelques temps a semblé s’effacer un peu.
Bon, il est temps de mettre un point final à ce texte, je plonge la main dans ma poche, la noix est toujours là.
Dimanche 19 avril
Extrait du dauphiné libéré
Voilà un conte de fée digne d’un des meilleurs Walt Disney ! C’est une famille appauvrie par la récession qui a bénéficié de cette immense chance : gagner le gros lot ! Souhaitons-leur bonheur et prospérité ! Notre empereur les recevra dans son palais royal dont le faste n’a d’égal que la grandeur.
Gloire à LUI et au tout puissant ARGENT qui permet de consommer encore et toujours !
J’ai collé l’extrait du journal. Il pourra toujours courir celui-là, j’irai pas le voir. Ou si plutôt, mais je lui cracherai au visage, au nom de tous ceux qui prennent petit à petit le chemin de la rue, de la pauvreté. En tous cas, on a bien trop d’argent maintenant alors on n’a pas oublié, nous, ceux qui n’en n’ont pas. On a décidé dans notre région de réclamer notre indépendance et de créer notre propre état où tous les miséreux seront les bienvenus. On leur trouvera du boulot, on leur aidera à construire leurs maisons, leur chez-soi. On leur rendra leur humanité alors qu’ils sont traités aujourd’hui comme des chiens galeux. Je le vois ce chemin, clairement, c’est celui de la solidarité et de l’avenir. L’autre ne mène qu’à la mort et la désolation.